Dave Fleet, Abracadabra Tattoo, la magie du Pays de…
Pays de Galles, 1975. L’industrie du charbon a du plomb dans l’aile… Glissant sur la pente d’un long déclin, des milliers de familles ayant déjà du mal à joindre les deux bouts sont doucement entraînées de par le fond. Le secteur tout entier essuie tour à tour la fermeture des mines d’exploitation, beaucoup étant jugées comme fonctionnant à perte, et les faillites de toutes les petites entreprises locales qui survivent autour du commerce, de la livraison, ou de la transformation du précieux minerai… devenu bien moins précieux depuis quelques années au profit du pétrole ou de l’énergie nucléaire…
Dave Fleet, la vingtaine à l’époque, gagne sa vie en bossant dur comme livreur pour une petite entreprise de transport de charbon située dans le comté de Gwent, dans le sud du pays. Depuis quelques mois, alors qu’il se crève à la tâche durant la journée, il passe pourtant toutes ses soirées et ses week-ends à traîner avec un copain… tatoué… Cet ami officie également de temps en temps comme tatoueur lui-même. Dave passe le plus clair de ses heures libres à regarder par dessus l’épaule de son mentor quand il tatoue, et finit même par pratiquer un peu sur des gars consentant. Doucement, il s’implique dans la culture naissante du tattoo, et perfectionne sa technique. Ainsi, quand la société de livraison suit le mouvement et dépose finalement le bilan en 1977, Dave se retrouve sans emploi, mais pas sans ressources: il se débrouille à gagner sa croûte en tatouant ici et là.
Accoudé au comptoir de son shop j’écoute Dave, aujourd’hui 50 ans passés, me raconter ses 33 années d’histoire « tatouistique ». J’écoute chaque mot de cette histoire avec l’enthousiasme d’un gosse qui ouvrirait ses cadeaux de Noël. Ça tombe bien, c’est juste la période… Cheveux grisonnant gominés en arrière, chemise bleue, blue jeans ajusté, Dave me rappellerait presque les photos de ces bad boys des années 60. Ouais, les mêmes gars que craignaient les fils à papa le samedi soir dans les bals de village, et ceux la même dont rêvaient en secret les filles bien élevées… Sympathique, accueillant et drôle, il m’invite à boire du thé, en bon britannique qui se respecte. Je ne bois pas de thé…
En 1977, la pratique du tattoo est encore peu répandue, et les tatoués sont bien souvent des marins ou des militaires, des excentriques ou des marginaux, et des truands ou autres taulards. Quand Dave fait ses débuts, alors que des noms tels que « Joe Hartley » raisonnent encore dans les boutiques du Royaume Uni, ceux qui exercent le métier ne sont pas légions. Ces quelques gaillards éparpillés ici et là n’ont, de plus, pas toujours bonne réputation. Dans tout l’ouest de l’Angleterre et le Pays de Galles, on ne compte que quatre tatoueurs à l’époque, dont Dave, et un certain Les Skuse Junior (Danny pour ne pas le nommer), qui reprend alors tout juste le flambeau du tattoo shop familial de Bristol.
De temps en temps, un nouveau venu tente d’installer sa boutique sans trop se soucier de la proximité plus ou moins relative de quelque autre tatoueur influent. Ce nouvel arrivant impétueux se voit alors directement signifier qu’il n’est pas tout à fait le bienvenu dans la région, et qu’il ferait bien de déménager… un peu plus loin… C’est à grands coups de parpaings dans la vitrine qu’on lui fait comprendre qu’il serait de bon ton de quitter le lieux dans les plus brefs délais. Et bien souvent, le tatoueur téméraire s’accroche quelques semaines, puis part finalement en quête d’un emplacement un peu plus tranquille. Mais Dave est chanceux. Blackwood, la petite ville du conté de Gwent où il choisit de débuter, n’est sous l’influence d’aucun clan. Alors lancé dans la profession, Dave cherche à améliorer sa technique et à gagner l’inspiration. Il passe souvent voir un de ses amis qui officie également au Pays de Galles ; Micky Sharpz. LE Micky Sharpz… Les deux compères discutaillent pas mal et échangent quelques petites astuces entre studio et coin de bar. A l’époque, Dave est subjugué par le boulot de Micky. Un style ultra réaliste, que Dave juge comme ayant facilement 20 ans d’avance sur tout ce qui se fait alors dans les années 70. Micky Sharpz, un visionnaire ? Selon Dave, pas de doute. Il se rappelle même précisément d’un papillon que Micky a tatoué sur un client 20 ans auparavant… Un genre de révélation… Alors quand je lui demande comment il qualifie son style, il m’explique qu’il prend son pied en travaillant sur des grosses pièces en style réaliste ou des portraits.
Après quelques années dans un local miteux, puis quelques années à se planquer au premier étage au dessus d’une boutique de tapis, et Dave installe enfin Abracadabra Tattoo dans un shop spacieux et confortable sur une petite place commerçante de la ville. Même pas au centre ville, simplement dans un quartier tranquille… Chez Abracadabra Tattoo, quatre tatoueurs travaillent aujourd’hui plein temps. Toute l’équipe pratique un art dont le seul nom « Dave Fleet » garanti la qualité, et quiconque entre dans la boutique peut se conforter de recevoir des conseils avisés, riches de plus de 30 années d’expérience du patron.
Les clients affluent de tout le Royaume Uni pour se faire encrer au shop, et le carnet de rendez-vous des quatre tatoueurs est blindé plus de trois mois à l’avance… Dave en rigole et m’avoue qu’il tente de ralentir un peu le rythme des rendez-vous, sinon il pourrait bien être déjà booké pour toute l’année 2011. Pour lui prêter main forte dans ce rush constant, son équipe est sur le pied de guerre, 100% active dès 9h30 (et tout le monde sait que 9h30, c’est très tôt pour un tattoo shop!). Et leur agenda s’étire souvent jusque plus de 19h. Dave officie dans son repère, tout au fond de la boutique, après un long couloir qui pourrait bien servir de petit musée du tatouage. Les murs en sont recouverts de vieux dessins old school et de photos. Dans un cadre, trône fièrement un dessin de l’ancienne boutique sur High Street, en 1986 (alors que je jouait encore aux GI joe…). Sur la gauche dans ce même couloir se trouve le poste de Whisky, le balèze percé de l’équipe. Dans un petit espace jouxtant le hall, près de l’accueil, Maria, la fille de Dave, se débat déjà avec un recouvrement tatillon, armée d’une machine rotative dernier cri. Un peu plus loin, caché après un petit hall sombre croulant sous les calques et les dessins, Dominic, le petit dernier de l’équipe, est en pleine cession d’échauffement et d’étirement avant d’entamer une séance de six heures: un ange sur les côtes d’un courageux lascar.
Nous quittons le comptoir. Dave reçoit un client à 11h et m’invite à poursuivre la discussion pendant qu’il travaille. Le client de ce matin vient pour finaliser un polynésien couvrant tout son bras droit. Dave a décidé de le traiter entièrement en free hand. Il entame doucement son dessin, stylo en main, et continue de bavarder.