Dave Fleet, Abracadabra Tattoo, the magic from Wales… PART…
Le grand nombre de tatoués dans la région en atteste, le tattoo est de plus en plus fortement « ancré » dans l’esprit des Britanniques (jeunes ou moins jeunes d’ailleurs). Arpentez les rues de Blackwood en été et vous serez étonné par le nombre d’avant-bras ou de mollets entièrement colorés fièrement exposés. La proportion de la population qui porte des tattoos très visibles ou de grande taille doit facilement dépasser les 15%, et il n’est plus rare que de nouveaux clients commencent directement par un premier tatouage de taille très respectable. Alors qu’on se contentait il y quelques années d’un papillon discret sur un omoplate ou d’un petit tribal sur le haut du bras, on attaque maintenant directement avec une manchette complète ou avec un design massif dans le dos comme toute première encre.
De plus, un nombre croissant de gens viennent chez Abracadabra avec des idées très précises sur ce qu’ils veulent. Pratiquement plus personne ne se pointe pour se faire encrer un bon vieux flash tout droit sorti d’un art book. Pourtant, d’innombrables planches recouvrent les murs du studio, mais la liste des prix prend maintenant la poussière sur une des étagères du comptoir. Il y a environ 5 ans, on voyait encore pas mal de clients demander le tarif pour un dragon gallois ou une croix celtique piqué sur un des bouquins, et le staff pouvait leur sortir directement quelques flashs de derrière les fagots, avec le prix qui allait avec. Aujourd’hui, tous les clients qui entrent dans la boutique ont une idée assez précise en tête et insistent sur le fait d’avoir un design aux détails personnalisés… Ce qui signifie que le temps passé sur chaque projet est considérablement plus long, de par la nécessité de travailler face à des attentes et des exigences toujours plus strictes. Ces deux facteurs dans l’attitude de la clientèle forcent ainsi l’équipe à facturer aujourd’hui uniquement à l’heure, non plus au design comme avant.
Je suis assez étonné du contraste avec le studio dans lequel j’avais exercé plus tôt à Bruxelles. En effet, j’étais au contraire presque toujours obligé de m’évertuer à expliquer à un client impatient de se faire tatouer un flash ramassé dans le premier catalogue venu, que sa démarche pourrait être plus personnelle et qu’il pourrait imaginer porter un tattoo vraiment unique en faisant preuve d’un tant soit peu de réflexion. Son choix se portait très souvent à la fin sur le flash, sans trop prêter attention aux recommandations d’usage… Alors d’un certain point de vue, en Grande Bretagne, la tendance inverse serait une bonne chose, car elle pourrait être la preuve que les Britanniques sont impliqués plus personnellement dans la démarche de se faire tatouer. D’un autre coté, avec des attentes de plus en plus poussées, et souvent trop, pas mal de clients de Dave font preuve d’un irréalisme digne d’un épisode de la Quatrième Dimension. Abreuvés de séries comme « Miami Ink » ou « LA Ink » qui inondent les chaînes câblées ces 3 dernières années, ces futurs nouveaux tatoués ne jurent que par ce qu’ils voient sur leur petit écran. Après s’être enfilés trois saisons de ces shows en DVD sur le week-end, ils se pointent le mardi chez Abracadabra avec une idée pour un dos complet, attendent de recevoir leur projet dans l’heure qui suit, et d’avoir un rendez-vous le lendemain… Au fond, ça fait marrer Dave… un peu… Il se rappelle même qu’une fois, une cliente qu’il était en train de tatouer s’était fortement plainte de la douleur, avec pour excuse que ça ne paraissait pas faire mal du tout… à la télé…
Quand j’aborde la question de la prolifération des shops, Dave prend la chose avec la plus grande philosophie. On dénombre par exemple aujourd’hui 16 boutiques rien qu’à Bristol, mais cela ne l’inquiète pas pour son business. Il parait même plutôt content de la tournure des évènements. Étonné une nouvelle fois, je lui demande pourquoi il se frotte les mains de cette concurrence envahissante, et il m’explique donc. Après la période de Noël et début janvier, un véritable raz de marée de nouveaux clients fait son apparition au studio. Pour la plupart de ces nouvelles figures, la raison qui les poussent à venir chez Abracadabra, c’est pour arranger ou carrément recouvrir un tattoo foireux encré pas cher pour Noël par quelque nouveau tatoueur dans quelque nouvelle boutique. Ainsi, Dave, armé de son expérience et épaulé de son équipe chevronnée, récolte les honneurs en « sauvant la peau » de ces clients au désespoir. On arrange le mauvais boulot d’un tatoueur trop frais lâché trop tôt dans la nature (voire même d’un quidam s’improvisant tatoueur dans son salon…). D’une pierre deux coups donc: on récupère la confiance d’un client rassuré, et on glane aussi au passage les amis de ce client qui transmet la bonne parole façon bouche à oreille. Fair-play! Heureux soyez, Jeunes Ados, de recevoir le dernier kit à tatouer commandé au Papa Noël sur un site de matos pas cher, Dave est là pour rattraper vos bousilles… Je dois avouer que ça me fait un peu transpirer dans mes pompes de tatoueur novice. Je me conforte dans l’idée qu’au moins je tente de faire preuve d’éthique et d’un profond respect pour le boulot des anciens, et je prie pour que personne n’ait jamais à rattraper mes jeunes tattoos…
Toujours occupé à dessiner calmement au stylo le polynésien sur le bras de son client, Dave lève les yeux vers moi et s’interrompt quelques secondes. Il ne dit rien, puis retourne à la peau du gars assis en face de lui. Plus haut sur son épaule, il commence à tracer quelque chose qui ne semble rien à voir à faire avec le polynésien… En 5 lignes, pas plus, une hirondelle old school dans les règles de l’art apparaît sous mes yeux ébahis. « Voilà mon pote, c’est tout ce que tu dois savoir », dit-il alors. Je l’interroge du regard. « Tout est là; des lignes fluides et arrondies pour tracer le corps, un dégradé de gris pour ombrer les ailes, et des bonnes couleurs bien solides pour finir le tout. Tu sais faire ça, tu sais TOUT faire ». Ça me laisse rêveur… Il m’en faut peu? Et ben je dirais pour ma défense que dans la vie, c’est dans les choses les plus simples que réside toujours la plus grande difficulté. J’applique cela au tattoo.
Les temps changent, ou pas… Dave Fleet tatoue depuis plus de 30 ans. Micky Sharpz n’exerce plus, mais vend des machines aux quatre coins du monde. Au shop de Blackwood, Maria Fleet bosse dur et se prépare doucement à prendre le relais, quand son père partira à la retraite. Elle sera à la hauteur, c’est sûr. Elle m’avoue qu’elle est fière du chemin parcouru par son père ; quand on peut y associer tant de grands noms, il y a de quoi ! Mais malgré tout cela, Dave reste simple, sincère, et conserve ce coté old school que j’apprécie tellement. Il me semble en effet que ce n’est pas dans toutes les boutiques qu’on peut se pointer presque à l’improviste, se faire offrir du thé, rencontrer toute l’équipe, espionner un peu chacun travailler, discuter le bout de gras pendant deux heures avec le patron, et ressortir avec l’impression d’être passé dire bonjour à des amis… Sans vouloir paraître vieux jeu ; exemple à suivre.
Mais les bonnes choses ont une fin, et je vais maintenant le laisser bosser un peu. Je m’éclipse. Je ressurgirait sûrement chez Abracadabra avant de reprendre encore la route en janvier, pour remercier l’équipe de son accueil chaleureux, prendre quelques photos du shop, et rigoler une dernière fois avec tout le monde. Je quitte la boutique en rassurant juste le client de Dave qu’il ne va pas vraiment garder une hirondelle old school tatouée au dessus de son polynésien… Dehors, ça gèle sévère, et je manque tout juste de glisser lamentablement sur une plaque de glace et de m’étaler de tout mon long. Les rues de Blackwood présentent un tout autre intérêt maintenant car elles renferment le repère de Dave Fleet, un dinosaure du tatouage Britannique… J’y suis entré, et j’en suis ressorti vivant pour en raconter un bout d’histoire…